
À la recherche d’un remède pour les troubles liés à l’utilisation d’amphétamines : sommes-nous proches d’une solution ?
Les troubles liés à l’utilisation d’amphétamines émergent comme un problème de santé publique silencieux, faisant plus de victimes dans les années 2020 que dans toutes les années précédentes combinées, autant au Canada qu’aux États-Unis. Selon les résultats de l’étude Global Burden of Disease (GBD) 2021 (1), les taux de mortalité standardisés par âge ont grimpé en flèche au cours des 20 dernières années (0,15 pour 100 000 en 2000 contre 1,12 pour 100 000 en 2020) dans les pays nord-américains à revenu élevé (Figure). Cette tendance alarmante souligne le besoin urgent de stratégies efficaces de réduction des méfaits et de traitements pharmacologiques pour compléter les interventions psychosociales existantes.
Il n’existe actuellement aucun traitement pharmacologique largement accepté pour les troubles liés à l’utilisation d’amphétamines. Sur des centaines d’essais cliniques au cours des 30 dernières années, certains médicaments, tels que les psychostimulants et le bupropion, ont montré des signaux modestes d’efficacité. Cependant, aucun médicament n’a encore démontré de manière constante une efficacité suffisamment robuste pour être intégré dans les soins apportés aux personnes vivant avec un trouble lié à l’utilisation d’amphétamines.
Une étude récente (ADAPT-2) publiée dans le New England Journal of Medicine en 2021 (2) nous a fourni des preuves concrètes de l’efficacité et de l’innocuité de l’association du bupropion (un antidépresseur stimulant) et de la naltrexone injectable à libération prolongée (un antagoniste des opioïdes) pour le traitement des troubles liés à l’utilisation d’amphétamines. Cette thérapie combinée a donné de l’espoir en montrant qu’elle peut être associée à une diminution à court terme de l’utilisation et de l’envie d’amphétamines. Bien que ces résultats encourageants puissent contribuer à façonner certaines recommandations appuyées par des données probantes, les résultats ne portaient que sur deux phases d’étude de 6 semaines sans fournir de signaux sur l’efficacité à long terme de ce traitement. De plus, l’étude ADAPT-2 n’incluait pas de groupes distincts pour le bupropion et la naltrexone utilisé indépendamment en monothérapie. Il est donc difficile de déterminer la contribution individuelle de chaque médicament aux bénéfices observés. Une méta-analyse de Bakouni et al. (3) a confirmé les résultats de l’étude ADAPT-2, même en incluant les études sur le bupropion seul. Ces données suggèrent que le bupropion peut être efficace dans le traitement des troubles liés à l’utilisation d’amphétamines. Une autre méta-analyse (manuscrit accepté) de Bastien et al. (4) sur l’intervention à la naltrexone seule n’a pas soutenu un régime de naltrexone autonome comme traitement efficace. Alors que les résultats de l’étude ADAPT-2 ont fait évoluer notre compréhension de la prise en charge des troubles liés à l’utilisation d’amphétamines, d’autres essais cliniques de ces molécules sont nécessaires pour aider à l’établissement d’un traitement convaincant fondé sur les preuves.
Les psychostimulants sur ordonnance tels que le méthylphénidate et la dextroampétamine sont un autre groupe de médicaments qui ont été largement étudiés pour le traitement des troubles liés à l’utilisation d’amphétamines. Ces études ont également fini par trouver un effet modeste des psychostimulants sur ordonnance sur les résultats principalement basés sur l’abstinence. Une méta-analyse de Sharafi et al. (5) a souligné l’utilité des psychostimulants sur ordonnance pour réduire l’utilisation et l’envie d’amphétamines. De plus, cette méta-analyse rapporte certaines données suggérant que l’augmentation du dosage des molécules de psychostimulant de prescription ou l’extension de la durée du traitement peuvent améliorer les résultats. Bien que cela semble prometteur, la fiabilité de cette conclusion est limitée par le nombre d’études incluses dans le regroupement des données. La mise en œuvre de psychostimulants sur ordonnance en tant que thérapie agoniste stimulante a été critiquée en raison de leur potentiel d’abus, de leur effet modeste sur les mesures de résultat cibles, de leur sécurité à long terme et de leur rentabilité (5, 6). Actuellement, deux groupes étudient l’efficacité et l’innocuité de la lisdexamphétamine à haute dose, une prodrogue de la dextroampétamine qui offre une durée d’action plus longue et un risque d’abus plus faible. Les études LiMA (7) et ASCME (8) peuvent contribuer à la proposition d’un cadre thérapeutique agoniste stimulant à haute dose. Les résultats de ces études sont très attendus par la communauté scientifique et médicale, étant donné leur potentiel à transformer les interventions dispensées à cette population.
Récemment, l’American Society of Addiction Medicine (ASAM) et l’American Academy of Addiction Psychiatry (AAAP) ont recommandé des interventions pharmacologiques pour la prise en charge des troubles liés à l’utilisation d’amphétamines dans leurs lignes directrices de pratique clinique fondées sur les preuves pour la prise en charge des troubles liés à l’utilisation de stimulants (9). Les recommandations pour la prescription de bupropion, bupropion/naltrexone, topiramate, mirtazapine et méthylphénidate sont assorties d’un degré de certitude moyen à faible et d’une force conditionnelle. Cela signifie que nous avons besoin de plus d’essais cliniques de haute qualité et de stratégies de synthèse des connaissances telles que les méta-analyses. À cet égard, une méta-analyse en réseau portant sur l’effet des interventions pharmacologiques, psychosociales et de réduction des méfaits pour le traitement des troubles liés à l’utilisation d’amphétamines vient d’être publiée (10). Les signaux d’efficacité ont été principalement observés en faveur des formulations avec une seule étude comme la quétiapine et le riluzole plutôt que pour les médicaments étudiés fréquemment comme la bupropion, le modafinil et la naltrexone. Ces résultats peuvent impliquer de nouveaux candidats pharmacologiques permettant de réaliser davantage d’essais cliniques afin de reproduire les résultats dans des populations d’étude importantes et diversifiées. D’autres méta-analyses en réseau similaires sont en cours, notamment une sur les interventions pharmacologiques (CRD42023473768) et une autre sur les interventions psychosociales (CRD42023450375). Les résultats de ces études secondaires peuvent contribuer à nos connaissances et à notre compréhension des modalités disponibles pour le traitement des troubles liés à l’utilisation d’amphétamines et mieux informer à la fois les équipes de recherches et les équipes médicales.
Certaines des stratégies qui peuvent être utilisées pour intervenir auprès des personnes vivant avec des troubles liés à l’utilisation d’amphétamines comprennent notamment la prise en charge des troubles concomitants tels que la psychose et la dépression. À cette fin, le Centre d’Expertise et de Collaboration en Troubles Concomitants (CECTC) a récemment publié un avis scientifique formulant des conseils sur les bonnes pratiques liées à l’évaluation et à la prise en charge des personnes vivant avec psychose et un trouble d’utilisation de stimulants en salle d’urgence (accessible ici). Cette initiative, ainsi que bien d’autres de la part du milieu universitaire et de la communauté médicale, montre comment le domaine évolue vers le développement d’options de traitement innovantes, contemporaines et efficaces aux personnes vivant avec un trouble lié à l’utilisation d’amphétamines. Avec un regain d’effort de recherche, des modalités de traitement robustes appuyées par des données probantes et adaptées à cette population spécifique devraient voir le jour sous peu !
Article par Heidar Sharafi
Références
Global Burden of Disease (GBD) 2021 study [Internet]. 2021 [cited 2024-10-09]. Available from: https://vizhub.healthdata.org/gbd-results/.
Trivedi MH, Walker R, Ling W, Cruz Ad, Sharma G, Carmody T, et al. Bupropion and Naltrexone in Methamphetamine Use Disorder. New England Journal of Medicine. 2021;384(2):140-53.
Bakouni H, Sharafi H, Bahremand A, Drouin S, Ziegler D, Bach P, et al. Bupropion for treatment of amphetamine-type stimulant use disorder: A systematic review and meta-analysis of placebo-controlled randomized clinical trials. Drug Alcohol Depend. 2023;253:111018.
Bastien G, McAnulty C, Sharafi H, Amani M, Elkrief L, Ziegler D, et al. Is naltrexone effective and safe for treating amphetamine-type stimulant use disorder? A systematic review and meta-analysis. Journal of Addiction Medicine. 2024; Accepted manuscript.
Sharafi H, Jutras-Aswad D. Response to Hall et al.: Prescription psychostimulants for amphetamine-type stimulant use disorder – acknowledging challenges but not giving up on its potential cost-effectiveness. Addiction. 2024;119(4):788-9.
Hall W, Darke S, Farrell M. Do we need clinical trials of high dose stimulant agonist treatment for stimulant use disorders? Addiction. 2024;119(4):786-7.
Ezard N, Dunlop A, Hall M, Ali R, McKetin R, Bruno R, et al. LiMA: a study protocol for a randomised, double-blind, placebo controlled trial of lisdexamfetamine for the treatment of methamphetamine dependence. BMJ Open. 2018;8(7):e020723.
Clinical Trial of High Dose Lisdexamfetamine and Contingency Management in MA Users [Internet]. National library of medicine. 2024 [cited 2024-10-09]. Available from: https://clinicaltrials.gov/study/NCT05854667.
The ASAM/AAAP Clinical Practice Guideline on the Management of Stimulant Use Disorder. Journal of Addiction Medicine. 2024;18(1S):1-56.
Khalili M, Sadeghirad B, Bach P, Crabtree A, Javadi S, Sadeghi E, et al. Management of Amphetamine and Methamphetamine Use Disorders: A Systematic Review and Network Meta-analysis of Randomized Trials. International Journal of Mental Health and Addiction. 2024.